À la vue de Tony : une quête désespérée dans le chaos.
Tony! Tony! hurla Mikhaïl en traversant la route. Fixé sa cible, il faillit se faire heurter par un véhicule. L’enfant se faufilait dans la foule de plus en plus compacte. Mikhaïl ne le perdait pas du regard mais peinait à progresser à contre-courant de cette marée humaine. Il atteignit une intersection et ne le vit plus. Il balaya du regard toutes les directions du carrefour sans succès. Il avait disparu.
« Tony! », cria-t-il à nouveau. Sa voix se perdait dans le boucan ambiant. Il se tourna vers l’arrière et vit au loin l’enfant marcher près de sa voiture au bout de la rue. Mikhaïl revenait sur ses pas à vive allure, n’étant plus ralenti par la foule dans le sens duquel il progressait désormais. Ses yeux étaient braqués sur ce maillot bleu qui se déplaçait en direction de l’immeuble d’Eliane jusqu’à disparaître derrière la porte donnant accès au hall.
Mikhail pénétra l’immeuble de deux étages, criant le prénom de son fils à tue-tête. Il vit plusieurs personnes dont le visage était marqué par la peur, descendre les escaliers. II s’agissait principalement de femmes paniquées, en pleurs, tenant dans leurs mains des habits d’enfants. Parfois un jouet. Parfois un livre scolaire. Il monta au premier étage, parcourant le couloir de long en large à la recherche du petit garçon.
Alors qu’il inspectait la cage d’escalier, il sentit une présence derrière lui. Il se tourna promptement et tomba nez-à-nez avec l’homme qui pleurait de sa fenêtre la disparition de son fils, qu’il reconnut grâce à son épaisse moustache. Le débardeur de ce dernier qui accentuait son ventre bedonnant, était trempé de larmes. Il dévisageait Mikhaïl qui était perturbé à la vue de ses yeux encore rougeâtres et larmoyants.
— Où est-il ?
— Je vous demande pardon ?
– Où est mon fils, menaça l’homme.
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Mikhaïl fit un mouvement de recul.
— Monsieur je ne sais pas de qui vous parlez !
— Arrêtez de mentir, hurla-t-il en pointant un couteau de cuisine vers Mikhaïl. Mon Matthieu ! Je sais que c’est vous qui l’avez enlevé ! Rendez-moi mon garçon !
Mikhail recula lentement, les mains levées, jusqu’à la rampe d’escaliers, jetant un regard rapide sur le vide derrière lui.
— Ne faîtes pas ça monsieur. Je ne sais pas où est votre fils. Je suis moi-même à la recherche du mien…
— Taisez-vous ! Vous mentez, cria-t-il. Tout le monde ment ! Espèce de voleur d’enfants.
Il s’avança la main levée avec son arme blanche. Mais Mikhail, bien plus athlétique que son opposant, fut le plus rapide et anticipa sur son mouvement. Il attrapa aisément le bras du cinquantenaire avant qu’il n’ait pu le toucher. Il lui donna un coup de genou violent dans le ventre avant de passer derrière lui et de l’immobiliser contre le mur avec une prise de soumission.
– Monsieur, vous allez vous calmer. Je vous répète que je n’ai rien à voir avec la disparition de votre fils.
Il lui fit lâcher le couteau qui glissa par dessous la rambarde pour finir bruyamment sa course au rez-de-chaus-sée. Le père de l’enfant gémissait de douleur à l’estomac.
Mikhail détendit prudemment son emprise. L’homme n’émit aucune résistance et s’écroula au sol dans un flot de larmes.
— Je vous demande pardon. Je ne sais pas ce qui m’a pris.
Je veux juste retrouver mon Matthieu. Il est tout ce qui me reste. J’ai perdu sa mère l’année dernière, je ne veux pas le perdre aussi. Matt où es-tu ? marmonna-t-il. Mikhail aurait souhaité lui demander s’il n’avait pas croisé Tony, mais il savait qu’il n’était pas en état de raisonner. Il pouvait ressentir et partager sa douleur. Mais à la différence que lui avait aperçu son fils et il se devait de le retrouver. Son Tony était là, quelque part dans l’immeuble.
**********
Dopé à cette nouvelle dose d’adrénaline, Mikhail gravit les marches jusqu’au deuxième étage en quelques secondes. C’était le couloir de l’appartement d’Eliane. Deux personnes y étaient assises, hagardes. Certaines portes étaient entrouvertes. Il appela le nom de Tony, à nouveau. Il arrivait presque au bout du couloir. La porte d’Eliane était ouverte. Il hésita avant d’entrer.
L’appartement était désormais illuminé de la lumière du jour, les rideaux tous ouverts. Il entendait le son de la télévision dans le salon. Il s’approcha doucement.
– Tony ! Tu es là fiston ?
Il aperçut Eliane effondrée au sol dans son peignoir, son portable à la main.
— Micky, cria-t-elle. Tu es revenu ! Je n’arrivais pas à te joindre.
Elle se jeta dans ses bras en larmes.
— Pardon chéri ! Pardon ! Je ne pensais rien de tout ce que j’ai dit! Je ne sais pas même pas ce qui m’est arrivé.
Il se libéra doucement de l’embrassade tout en jetant un regard furtif dans l’appartement à la recherche de son fils.
— Tu as vu ce qui se passe ? dit-elle d’un ton affolé. Ils en parlent à la télé. C’est terrible. Des gens qui meurent ou qui disparaissent. Ils disent que c’est peut-être l’œuvre d’un virus.
Mikhaïl découvrait les images qui passaient en boucle sur la chaîne d’informations. De grosses bandes rouges défilaient avec les mêmes mots écrits en gras: disparition, accidents, catastrophe, cataclysme, mystère… Il avait toutefois du mal à comprendre les commentaires des journalistes à cause de ses pensées qui s’entremêlaient. Eliane le coupa bruyamment dans sa réflexion.
– Ma mère, Micky ! Elle a disparu, de même que ma petite sœur.
— Ta mère ?! demanda Mikhaïl incrédule. Mais elle n’habite pas à Fort-de-France ?
– Oui ! Ma tante qui réside aussi en Martinique m’en a informée à l’instant. Que vais-je devenir sans ma mère ?
Cet étrange dérèglement touchait donc plus que la région parisienne, pensa Mikhaïl. Il se remémora sa propre petite famille et la crainte que quelque chose de similaire leur soit aussi arrivé le paralysait.
— Il faut que je parte. Je dois retrouver ma famille.
Il sortit dans le couloir. Elle l’y rattrapa et le bouscula violemment, l’entraînant au sol avec elle.
– Non reste avec moi, dit-elle sur un ton hystérique. Ne me laisse pas seule, Micky. Ma mère m’a déjà abandonné. Ne m’abandonne pas toi aussi. Pas aujourd’hui ! J’ai besoin de toi.
Mikhail se releva rapidement tandis qu’Eliane s’accrochait à l’une de ses jambes. Tout à coup, elle se mit à gesticuler incontrôlablement. Elle avait des spasmes violents. Mikhail hésitait à la laisser dans cette condition.
– Mikhail, on doit y aller. Audrey nous attend, fit entendre une voix au loin.
C’était Kyara qui se tenait debout à l’autre bout du couloir, avec son sac au dos.
— Fillette ? Mais où étais-tu passée ? Peu importe. Je vais devoir la conduire à l’hôpital, je ne peux pas la laisser comme cela.
Il détourna son regard sur Eliane qui s’était assoupie presque instantanément à ses pieds sur la moquette grise du couloir, épuisée par les larmes, les douleurs et les fortes émotions subies.
— Tu ne peux pas faire grand-chose pour elle, Mikhail.
Il sursauta car Kyara à la présence de Kyara, juste à côté de lui.
— Mais..comment as-tu fait pour…?
– Mikhail, nous n’avons pas le temps, coupa-t-elle. On doit y aller.
— Mais Tony… Je l’ai vu rentrer dans l’immeuble. Il est certainement ici.
— L’as-tu trouvé ?
— Non, mais je dois continuer de chercher.
Kyara le regarda tendrement.
– Es-tu persuadé que c’était lui ? As-tu vu son visage ? Avez-vous parlé ?
Mikhaïl fut aussitôt envahi d’un doute équivalent à la conviction qu’il ressentit quelque temps plus tôt dans la rue quand il crut reconnaître Tony. Il n’était plus aussi sûr de lui.
Il regardait Kyara d’un air dubitatif. Elle lui afficha en retour un sourire apaisant.
— Tout va bien. Ça va aller. Partons maintenant.
— Un instant, rétorqua-t-il.
Il transporta délicatement Eliane, endormie, jusqu’à son canapé.
—Je suis désolé Eliane, murmura-t-il à son oreille.
Pardonne-moi ! Pardonne-moi pour tout.
Il referma la porte sur elle non sans jeter un dernier regard à la télévision dont les images de chaos continuaient de défiler….
Ce texte est un extrait du livre « ILS SONT PARTIS » écrit par Teddy NGBANDA.
Nous vous invitons à lire l’article suivant “Mikhaïl découvre les qualités de sa femme par la bouche d’Hector“.
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