La politique des gouvernements en Afrique est un paysage en pleine mutation. Ses acteurs changent, bien sûr, mais aussi son orientation et sa vision dominante. Ce paysage est traversé par un chemin de bonne gouvernance, d’engagement et de compétence, qui va s’élargissant. Comme je l’ai déjà évoqué, les attentes jouent beaucoup sur la qualité de la gouvernance. Pour remplacer la mauvaise par la bonne, redéfinir les attentes est plus efficace que d’interdire la corruption.

Les attentes changent, notamment au plus haut niveau hiérarchique, où la politique rencontre le peuple. Les réformes démocratiques évoquées au chapitre 3 combinées avec le Printemps arabe, ont contribué à mettre davantage de pression sur les hauts dirigeants pour qu’ils obtiennent des résultats. « Pendant longtemps, les gouvernements profitaient du fait que l’on n’attendait pas grand-chose d’eux », dit James Mwangi. Et il ajoute :

« À présent les gens voient que la situation peut grandement s’améliorer, et ils attendent de leur gouvernement qu’il y contribue. Mon espoir est que dans les années à venir, nous verrons les gouvernements évoluer pour ne plus être le moyen de s’enrichir et de gravir les échelons, mais une structure attentive au développement et qui sache répondre aux besoins des entreprises. »

Le premier lieutenant de Sam Jonah, John Barton, a vu les choses changer au Liberia et en Zambie. « Quand un chef du gouvernement démissionne pour dénoncer la corruption, dit-il, comme l’ont fait les présidents Sirleaf au Liberia et Sata en Zambie, les attentes changent, à la fois du gouvernement envers la masse, mais aussi de la population envers le gouvernement. »

En outre, de plus en plus, les postes élevés sont occupés par des technocrates qui ont à la fois les compétences et la motivation pour mener une bonne politique. Certes, cette tendance n’est pas omniprésente, mais elle est nettement plus répandue qu’il y a 20 ou même 10 ans.

C’est ce changement qu’illustre l’expérience de Ken Njoroge, qui a remporté le contrat pour les subventions aux fermiers nigérians (cf. chapitre 4). J’ai interrogé Ken sur ce contrat parce qu’il me semblait qu’une offre de plusieurs millions de dollars faite par le ministère de l’Agriculture nigérian serait un parfait exemple de mauvaise gouvernance. Bien au contraire. L’histoire de Ken est frappante :

« Mon expérience est très différente de ce à quoi vous pourriez vous attendre. J’étais en classe économique dans un avion pour le Nigeria, et à la sortie des toilettes je suis tombé sur ce type qui s’intéressait à ce que nous faisions avec les paiements mobiles. C’était un agronome nigérian qui travaillait pour un think tank au Kenya et il se disait : « Je suis sûr que cette technologie de paiement qu’ils sont en train de développer pourrait servir à l’agriculture. » Nous avons commencé à discuter, et je lui ai dit : « Oubliez ce que peut faire la technologie, définissons le problème. Quel est le problème ? » Il fallait mettre le doigt dessus. Nous avons commencé à faire un schéma du secteur des engrais sur son carnet et nous avons parlé pendant plus d’une heure. À la fin, il m’a suggéré de rencontrer le gouverneur de la Banque centrale du Nigeria. J’étais un peu sceptique: après tout, nous étions tous les deux en classe économique. Mais nous avons convenu de nous écrire. Un samedi, il m’a appelé : « Vous savez, je ne vous l’ai pas dit mais quand nous nous sommes rencontrés, j’allais au Nigeria pour être confirmé au poste de ministre de l’Agriculture. »

Qu’un ministre de l’agriculture ne soit pas un politicien professionnel mais plutôt un spécialiste de l’agronomie est révélateur des changements en marche en Afrique. La suite de l’histoire de Ken donne à voir le chemin de plus en plus large qui s ouvre vers la bonne gouvernance :

« Il nous a invités au Nigeria pour présenter nos services. Et comme il l’avait dit, il y avait le gouverneur de la Banque centrale, de même que plusieurs ministres et un gouverneur d’État. Cette réunion a été tellement bouleversante pour moi. Comprendre que ceux qui dirigent un pays comme le Nigeria ne sont pas juste des politiciens, mais plutôt des technocrates. Ils ont regardé la production alimentaire, m’ont posé des questions sur le revenu des fermiers, scrupuleusement interrogé sur ce qu’était ma technologie et où elle avait fait ses preuves précédemment. Ils ont creusé chaque aspect, en posant les questions qui fâchent. À la fin, ils m’ont demandé : « Est-ce que ça pourrait être prêt pour la prochaine saison agricole ? » Et nous avons répondu que oui, que nous avions besoin de cinq mois.

À ce moment-là, une personne des marchés publics a objecté que la durée de la procédure de réponse au marché en elle-même excluait cette possibilité. Le groupe lui a demandé s’il était prêt à dire au président que la solution envisagée ne serait pas mise en place cette saison à cause de procédures. Nous sommes tombés d’accord, la solution devait être en place cinq mois plus tard, en mars, et c’est exactement ce qui s’est produit. »

Les changements de gouvernance qui s’opèrent au sommet pénètrent lentement la base de la fonction publique. Les fonctionnaires, comme dans cette réunion avec Ken, ne sont pas toujours aussi déterminés que dans une réunion au sommet. Mais les attentes du leadership sont la condition sine qua non du changement.

Du moment que les exigences en matière de gouvernance commencent à changer, elles impactent tous les acteurs, et font aussi évoluer celles du gouvernement vis-à-vis des entreprises.

Jay Ireland fait face à des exigences de la part des gouvernements africains qui en surprendraient plus d’un. « Maintenant, quand je travaille avec des gouvernements africains, dit-il, l’une de leurs principales préoccupations est de savoir si l’entreprise est là à court terme, cherchant simplement à faire du profit sur une opération. Ils sont surtout inquiets de savoir si vous apportez de l’emploi à long terme et de la croissance. » 

J’ai un peu titillé ….

Ce texte est un extrait du livre « Ces Entreprises qui Réussissent En Afrique » écrit par JONATHAN BERMAN.

Nous vous invitons à lire l’article suivant « COLLABORATION PLUTÔT QUE RÉCIPROCITÉ« .

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