Développer Les Coopérations Et Les Rencontres.
“Parce que l’amour est riche de vérité, l’homme peut le comprendre dans la richesse de ses valeurs, le partager et le communiquer. La vérité est, en effet, lógos qui crée un diá-logos et donc une communication et une communion. En aidant les hommes à aller au-delà de leurs opinions et de leurs sensations subjectives, la vérité leur permet de dépasser les déterminismes culturels et historiques et de se rencontrer dans la reconnaissance de la substance et de la valeur des choses” (Benoît XVI, Caritas in veritate, 4).
Mettre ses talents au service de tous… Ce début de réflexion, effleuré dans les pages précédentes, nous conduit logiquement aux concepts de coopération, de rencontre, de collaboration, de communication et de communion.
Les Grandes Règles de saint Basile, docteur de l’Église à l’origine du monachisme oriental, enseignent au chapitre 7 que «Dieu veut que nous ayons besoin les uns des autres» et que « le charisme propre de chacun devient le bien commun de l’ensemble». De toutes les choses que j’ai faites, la plus vitale est de coordonner ceux qui travaillent avec moi et d’orienter leurs efforts vers un certain objectif.
Cet aveu de Walt Disney (par ailleurs autoritaire et dur avec les syndicats), un des plus grands visionnaires du xxe siècle, qui a révolutionné l’univers du divertissement, traduit d’une certaine manière la vocation de charité développée dans ce livre. Biz and love (commerce et amour). Chaque employé met son talent au profit de ses collègues et de la société elle-même. D’où l’absolue nécessité des relations sociales et de la coopération humaine à l’intérieur de l’entreprise.
En anglais, le substantif company vient des mots latins cum (avec) et panis (pain), qui se réfèrent à l’action de rompre le pain tous ensemble, au partage. Nous voyons donc bien ici, dans la construction étymologique de Company (latin cum, «avec», et panis, « pain») l’entreprise, cette vision d’une communauté de personnes qui partagent le même but. Le concept s’enracine dans l’action familière de rompre le pain ensemble, qui donnera également les mots compagnon et copain.
L’entreprise permet de mettre en évidence ce besoin des autres et nous conduit, sans que nous nous en rendions forcément compte, à offrir notre talent au plus grand nombre et à réaliser l’objet social. À partager la vérité de l’amour que l’homme peut comprendre dans le dialogue, comme le dit Benoît XVI dans Caritas in veritate. Il n’y a pas que l’entreprise et ses actionnaires qui ont besoin de nous, mais également nos collègues, nos fournisseurs, nos clients, nos partenaires. Soit finalement beaucoup de monde… Nous sommes les gardiens de nos frères. La shared value de Michael Porter se fonde sur ce principe de coopération entre les différentes parties prenantes.
Et la doctrine sociale de l’Église donne un nom à cette interdépendance positive: le principe de solidarité. Plus largement, l’entreprise est également une opportunité de rencontre et de collaboration. Au sens le plus simple du terme.
Une opportunité d’ouverture aux autres et d’accueil de la différence. Pour Antoine de Saint-Exupéry, « la grandeur d’un métier est, peut-être, avant tout, d’unir des hommes: il n’est qu’un luxe véritable, et c’est celui des relations humaine’ ». L’entreprise est un écosystème où nous coopérons avec des personnes que nous n’aurions jamais eu l’occasion de croiser ailleurs. L’entreprise nous fait découvrir le talent des autres. Elle a une vocation sociale au sens propre du terme. Elle est enfin un lieu de mise en valeur de la dignité de l’homme. Le salarié qui a pu développer ses talents créatifs via le principe d’initiative vu précédemment est ainsi reconnu comme acteur de la marche en avant du monde.
Le succès d’une entreprise vient en premier lieu des hommes et des femmes qui la composent. Mais attention, l’entreprise doit aussi nous apprendre à accepter les limites des autres qui ont « besoin» de nous, leurs faiblesses et leurs incapacités, sans pour autant les rayer d’un trait sous le seul prétexte de la performance… L’entreprise est un lieu de mise en œuvre toujours difficile de la charité, de l’amour gratuit.
Afin de créer un espace qui faciliterait le dialogue et pour que la communauté des employés se sentit impliquée dans le développement de l’entreprise, Google initia historiquement le principe du TGIF (Thank Google it’s friday). Ainsi, chaque vendredi, durant les premières années de son développement, employés et managers se prêtaient à un jeu ouvert de questions/réponses où tout pouvait être exprimé sur ce qu’avaient fait ou dit pendant la semaine les dirigeants de l’entreprise.
Cette pratique d’ écoute et de participation a beaucoup surpris lorsqu’elle fut lancée, alors qu’elle existe en réalité depuis mille cinq cents ans dans le chapitre monastique, comme nous le verrons plus loin. Elle eut surtout pour conséquence, parmi d’autres pratiques innovantes, de souder une équipe de geeks en permettant à chacun de comprendre pourquoi il était là, de suivre le regard des fondateurs, de percevoir leur vision à long terme et de pouvoir, à son humble niveau, y contribuer. Malheureusement, alors que ses TGIF fonctionnaient parfaitement avec cinquante employés, Larry Page, cofondateur de Google, n’arriva pas à en maintenir l’efficacité lorsque l’entreprise se mit à employer mille personnes réparties sur différents continents.
Quand la société croît, vous devez continuellement inventer de nouveaux process. Nous avons plutôt fait un bon travail jusqu’à maintenant, mais c’est un défi continu. Coopérer, se rencontrer, faire vivre les communautés, c’est la mission que Mark Zuckerberg a confiée à Facebook. Dans un manifesto fascinant publié en février 2017, qui a pu être compris comme une réponse aux élections présidentielles américaines, lesquelles avaient surpris beaucoup de monde, il rentre avec conviction dans le vif du sujet en réfléchissant profondément à la vocation de l’entreprise qu’il a fondée. La conclusion à laquelle il parvient est que Facebook doit se focaliser sur l’importance des communautés en y voyant une « rencontre» de l’autre:
Dans des temps comme celui-ci, la chose la plus importante que nous puissions faire chez Facebook, c’est de développer l’infrastructure sociale qui donne au peuple le pouvoir de construire une communauté globale qui fonctionne pour nous tous. Quelques mois plus tard, il formulera légèrement différemment la mission de Facebook:
Donner au peuple le pouvoir de construire des communautés et de rassembler le monde.
Nombre de thèmes sont abordés dans les six mille mots que totalise ce texte. Le rôle des communautés dans la vie sociale, l’entraide, la joie, l’accueil de l’opinion différente. Quelques questionnements aussi: bien que Mark Zuckerberg s en défende plutôt habilement, on voit clairement que la question des choix éditoriaux, de l’influence que peut exercer le réseau, est cruciale.
Dans son long manifesto, il nous dit en substance que Facebook doit devenir le lieu principal d’exercice de la démocratie. Notre vie communautaire (église, école, famille, amis…) passe par Facebook; les messages d’alerte (attentats, oura-gans) passent par Facebook; la récolte d’informations (et de fake news) passe par Facebook; la participation politique (suivi et dialogue avec son député, organisation d’événements politiques, voire de révolutions) passe par Facebook; nous avons même un président américain qui gouverne par… Twitter!
Mark Zuckerberg nous annonce donc qu’il considère Facebook comme un bien commun. En réponse à ce document, Nathan Schneider (à l’origine du mouvement platform coop dont nous avons déjà parlé) écrivit une tribune intitulée: «La démocratie n’est pas un groupe Facebook». S’il avait participé au débat, Pie XI aurait pu avancer l’article 114 de son encyclique Quadragesimo anno, qui affirme:
Il y a certaines catégories de biens pour lesquels on poi soutenir avec raison qu’ils doivent être réservés à la collectivité, lorsqu’ils en viennent à conférer une puissance telle qu’elle ne peut, sans danger pour le bien public entre les mains des personnes privées. Ce pouvoir immense que procurent les data générées par un réseau d’une telle ampleur, nous l’évoquerons au chapitre IV.
Pour le moment, reconnaissons-le, ce manifesto est le signe d’une réflexion passionnante. Car il est vrai que les divers réseaux sociaux, personnels et professionnels, ont contribué à créer des communautés. Pour le meilleur et pour le pire, certes, mais ils constituent des lieux de rencontre. Les fournisseurs ont pu parler aux clients; les marques ont pu parler aux consommateurs et écouter leurs avis; les membres d’une même famille, éloignés par les aléas de la vie, ont pu garder le contact. Bien sûr, les réseaux sociaux diffusent des rumeurs, des fake news, des insultes et sont aussi le miroir grossissant d’une certaine laideur de l’âme humaine. Mais comme le rappelle Benoît XVI dès le début de Caritas in veritate :
Parce que l’amour est riche de vérité, l’homme peut le comprendre dans la richesse de ses valeurs, le partager et le communiquer Une autre opportunité de coopérations et de rencontres est née à l’ère numérique: l’économie collaborative. L’expression est un peu fourre-tout aujourd’hui, mais nous retiendrons la définition de la communauté Ouishare? :
L’économie collaborative regroupe l’ensemble des pratiques et modèles économiques basés sur les structures horizontales et les communautés, qui transforment la façon dont on vit, crée, travaille.
Cette économie se construit sur des modèles distribués et sur la confiance au sein des communautés, brouillant ainsi les frontières entre producteur et consommateur. Ces communautés se rencontrent et interagissent sur les réseaux en ligne mais aussi …
Ce texte est un extrait du livre « DIEU, L’ENTREPRISE, GOOGLE ET MOI » écrit par Thomas JAUFFRET.
Nous vous invitons à lire l’article suivant « La Silicon Valley n’a rien inventé, mais a tout illustré« .
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