Tous les matins, je prenais les transports en commun de mon Ghetto et traversais toute la ville pour arriver dans le quartier le plus riche où se trouvait mon lycée. Le soir après les cours, je faisais le même chemin dans le sens inverse pour retourner au Ghetto. Je m’étais rendu compte que j’étais toujours heureux de quitter la maison le matin, mais toujours triste quand il fallait y revenir le soir. Lors de mes trajets allers comme retours, je passais mon temps à contempler les différents paysages que le véhicule traversait et je méditais sur les différences sociales et financières que cela représentait.
En direction du lycée, on partait des maisons en bois ou en semi-dur pour ensuite traverser les maisons en dur avant d’arriver aux villas et immeubles luxueux. Plus le véhicule avançait, plus mon cœur se remplissait de joie. Celle-ci décroissait cependant de manière progressive sur le chemin du retour vers le Ghetto. A mesure que je faisais ce trajet, la tristesse que je ressentais se transformait en frustration. Je commençai à à me dire en moi-même : « il faut que je quitte ce Ghetto pour toujours ». Je ne savais pas comment cela se ferait car personne ne quittait le Ghetto sans y revenir après quelques mois.
Des rumeurs couraient selon lesquelles les sorciers du quartier maintenaient les habitants sur place. Lorsqu’une personne quittait le quartier pour aller s’installer ailleurs, ces sorciers se réunissaient et associaient leurs forces pour ramener cette âme au quartier. Mon cœur était tellement rempli d’images de belles maisons et de beaux quartiers qu’il n’y avait plus de place pour la peur des sorciers.
Je savais dès lors que j’allais quitter le Ghetto et que rien ne pourrait m’y ramener.
Mes amis du lycée sont tous riches et ils pensent que je le suis aussi.
Au lycée, je nouai rapidement des amitiés qui devinrent très profondes. Mes parents m’avaient appris dès mon plus jeune âge à aimer et à valoriser tout le monde. Cette éducation me permit de développer des valeurs sociales extraordinaires, lesquelles ont toujours facilité mon intégration dans toutes les communautés. Je faisais facilement bonne impression par ma politesse, mon humilité et mon authenticité, ce qui mettait mes interlocuteurs en confiance et leur permettait de m’accueillir plus favorablement.
C’est ainsi que mon premier jour au lycée, je sympathisai avec une charmante camarade de classe qui s’appelait Stéphanie. A la fin des cours et pendant que la plupart attendaient leurs chauffeurs, les élèves étaient tous rassemblés devant l’entrée principale du lycée. Jean-Philippe, le fils d’un homme d’affaire influent du pays, s’approcha de moi et me demanda de bien vouloir le présenter à Stéphanie car il voulait lui faire la cour et il avait constaté que je m’entendais bien avec elle. Je fus très heureux et très honoré de pouvoir rendre ce service à Jean-Philippe car c’était pour moi une occasion de devenir un ami particulier d’un fils de riche.
Je m’approchai donc de Stéphanie pour lui parler de Jean-Philippe et de ses intentions de faire sa connaissance. Stéphanie me fit savoir qu’elle n’était pas du tout intéressée par cette amitié et qu’il fallait que Jean-Philippe ne me parle plus d’elle. La réaction de Stéphanie m’avait scandalisé car je ne pouvais pas imaginer qu’une fille puisse refuser les avances d’un fils de riche.
Dans mon Ghetto, les filles étaient prêtes à quitter leurs maris et leurs enfants pour suivre une personne financièrement stable. Lorsqu’une Mercedes 500 vint chercher Stéphanie quelques minutes plus tard que je compris qu’elle était aussi la fille d’un riche. Le père de Stéphanie était à la tête de plusieurs grandes entreprises. Je venais ainsi de me faire deux amis d’exception le premier jour de classe. Une semaine plus tard, Stéphanie organisait une fête au domicile de ses parents à l’occasion de son anniversaire et m’y invita. Le fait d’être invité à cette fête augmenta ma popularité de manière considérable ; plusieurs personnes conclurent que j’étais certainement le fils d’un riche.
Le jour de la fête, j’empruntai des vêtements décents à un ami du Ghetto dont le frère aîné habitait en France. Il était le seul ami du Ghetto qui avait des vêtements neufs que son frère lui envoyait souvent. Il me prêta un T-shirt et un pantalon jean. Je portai les chaussures mocassins de mon grand frère Boniface et je mis le parfum Paco Rabanne d’un de mes voisins. Je pris ensuite le taxi direction Bonapriso, le quartier le plus riche de Douala.
Une fois arrivé chez Stéphanie, je fus émerveillé par la grandeur et la beauté de la maison de ses parents. Leur parking comptait quatre voitures de luxe dont deux Mercedes 500. Une piscine que j’estimai de trente mètres de longueur se trouvait au centre du jardin. Je fus fortement impressionné par la splendeur et tout le luxe que je découvrais autour de moi dans cette maison. Mais je ne pouvais pas montrer mon étonnement.
Personne ne devait savoir que je découvrais ces choses pour la première fois. Je préférais que tout le monde me prenne pour un fils de riche. Tous mes amis habitaient les quartiers riches et vivaient dans un très grand confort. Contrairement aux habitants du Ghetto, ils étaient très polis, courtois, attentionnés, généreux et sensibles. Mes amis venaient à l’école avec des voitures luxueuses conduites par des chauffeurs.
Pendant les vacances, ils voyageaient en avion vers les pays occidentaux. Ils m’invitaient régulièrement aux fêtes qu’ils organisaient dans leurs méga-villas. J’assistais également à leurs multiples piscine-party en tant qu’invité de marque…
Ce texte est un extrait du livre » DU GHETTO AU BARREAU » écrit par Dominique MBOG.
Nous vous invitons à lire l’article suivant “ Les Études “.
Pauvreté. Pauvreté
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