Il y a de la place pour tous sur la Terre: la famille humaine tout entière doit y trouver les ressources nécessaires pour vivre correctement grâce à la nature elle-même, don de Dieu à ses enfants, et par l’effort de son travail et de sa créativité” (Benoît XVI, Caritas in veritate, 50).

Un autre phénomène, plus profond que le freelance, vient en effet aujourd’hui défier fortement la notion de travail humain et inquiète, selon toutes les études, une part importante de la population: l’intelligence artificielle. Cette innovation nous renvoie à la question anthropologique que nous posions au début de ce livre: qu’est-ce que l’homme? 

De nombreux livres et articles expliquent très bien ce que signifie scientifiquement l’expression «intelligence artificielle».

Je ne vais donc pas la traiter de manière trop technique. Née dans les années 1950, elle se résume ainsi, selon les mots de John McCarthy (considéré comme le père de l’IA) : « La science et l’ingénierie permettant de fabriquer des machines intelligentes.» Cela fait donc des décennies que nous sommes confrontés à des algorithmes «intelligents» auxquels on a donné des règles afin de leur demander ensuite de résoudre des problèmes. Mais cela était très complexe et limité.

Depuis quelques années, des pas de géant ont été réalisés avec ce que l’on appelle « machine learning» (apprentissage automatique), un sous-ensemble de l’intelligence artificielle développé dans les années 1980. Le machine learning dote les machines d’une capacité d’apprentissage qui va de l’apprentissage supervisé (l’exemple typique est la myriade de photos de chats associées au mot chat) jusqu’au plus récent «deep learning» (apprentissage approfondi). Tant la puissance de calcul des machines que la masse de données utilisables (que nous fournissons nous-mêmes gratuitement sur les réseaux sociaux) ont permis d’accélérer drastiquement la recherche scientifique. Aujourd’hui, les recherches que nous effectuons sur Google ou les recommandations qui nous sont faites sur des sites d’e-commerce sont déjà de l’intelligence artificielle appliquée.

Le deep learning, qui est donc un sous-ensemble du sous-ensemble, tente de rapprocher le fonctionnement de la machine de celui du cerveau humain. Un enfant n’a pas besoin de visionner un million de photos de chats pour affirmer que ce qu’il voit est un chat; il expérimente par lui-même. Alors que la compréhension du cerveau et des systèmes neuronaux a énormément progressé ces dernières années, le deep learning essaie (il en est encore loin d’imiter les processus neurobiologiques.

Il fonctionne sur plusieurs niveaux et se fonde sur des réseaux de neurones artificiels qui permettent à la machine, sans être guidée, de définir ce qu’elle voit. Là encore, il y a plusieurs sous-ensembles. Ce qu’on appelle l’« apprentissage par renforcement», c’est par exemple DeepMind (Google) qui, avant de battre le champion du monde du jeu de go, a analysé de nombreuses parties, mais en a également joué des millions contre lui-même; il a donc auto-appris. Et dernièrement, les chercheurs travaillent sur l’apprentissage non supervisé, pour lequel la machine construit un algorithme à partir de sa seule observation.

On en est encore aux balbutiements, l’intelligence artificielle est très éloignée de comprendre le raisonnement humain, comme le rappelle le rapport Al Index publié en novembre 2017, bien que beaucoup de peurs viennent de là. Sans entrer dans trop de détails techniques, il est important de préciser deux choses à ce stade: la première est que les performances atteintes par le deep learning sont impressionnantes; la seconde est qu’on ne comprend pas réellement pourquoi, c’est-à-dire qu’il y a un fonctionnement et des résultats qui échappent même au concepteur.

Alors que la robotisation est déjà bien présente dans nos usines, l’intelligence artificielle faible, celle que nous connaissons actuellement, paraît donc déjà pouvoir acquérir des compétences humaines: traduire une discussion, labelliser des images, détecter des fraudes, réaliser un diagnostic médical… Par conséquent, de nombreux emplois à faible compétence cognitive semblent être menacés, et cela nous perturbe. Y aura-t-il encore demain du travail humain? Les comptables, les chauffeurs, les traders et même les chirurgiens se font des cheveux gris…

Selon Jacques Bughin et Éric Hazan’ de McKinsey, trois facteurs tendent à confirmer ce déploiement de l’intelligence artificielle. Tout d’abord, les fonds de capital-risque et autres investisseurs financiers ont triplé leurs investissements dans ces domaines ces trois dernières années’; ensuite, les grands groupes technologiques ont également investi des sommes considérables; enfin, leur étude portant sur trois mille entreprises montre que deux tiers d’entre elles sont ouvertes à intégrer de l’intelligence artificielle dans leur organisation. Par ailleurs, nous pouvons noter, peut-être avec une certaine inquiétude, la rapidité avec laquelle la Chine a pris le virage de l’A en mettant à disposition des entreprises une masse phénoménale de data utilisables; en trois ans, les progrès technologiques chinois sont considérables.

En 2013, des chercheurs de l’université d’Oxford étaient arrivés à la célèbre conclusion que 47% des emplois aux États-Unis étaient menacés par l’intelligence artificielle et la robotique. Cette conclusion est aujourd’hui battue en brèche par tous ceux qui considèrent d’une part que l’homme a une capacité relationnelle et un talent créatif qui restent indispensables dans de nombreux travaux techniques et, d’autre part, que l’intelligence artificielle ouvrira la voie à de nouveaux rôles humains.

Mark Zuckerberg lui-même exprima néanmoins son inquiétude lors d’un discours qu’il tint à Harvard en 2017:

Quand nos parents ont reçu leur diplôme, leur but dans la vie venait, de manière simple, de leur travail, de leur église, de leur communauté. Mais, aujourd’hui, la technologie et l’automatisation détruisent de nombreux emplois. Le nombre de membres diminue dans toutes les communautés. Beaucoup de gens se sentent déconnectés et déprimés et tentent de remplir un vide. […] J’ai rencontré des ouvriers qui savent que leurs emplois n’existeront plus et qui cherchent à trouver leur place.

Ce texte est un extrait du livre « DIEU, L’ENTREPRISE, GOOGLE ET MOI » écrit par Thomas JAUFFRET.

Nous vous invitons à lire l’article suivant « L’entreprise devient l’arbitre de la morale publique“.

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