Les gens sont surpris d’apprendre que j’ai été l’auteur d’une proposition de loi visant l’une des plus importantes réductions d’impôt proposées au Congrès dans les années 1980. Enfin, peut-être pas sous la forme que vous imaginez.

Voici comment les choses se sont en fait passées. J’ai présenté une proposition d’importance tout à fait mineure, sous la référence HR 5829 : elle demandait un allègement fiscal pour l’église que je fréquentais à Washington, qui lui aurait permis de ne pas payer de droits de douane trop élevés sur un carillon qu’elle venait d’importer d’Europe. Selon la répartition des responsabilités entre la Chambre et le Sénat telle que prévue par la Constitution, seule la Chambre a l’initiative en matière de législation fiscale. 

Comme le Sénat était très favorable à une réduction substantielle des impôts, notamment durant la campagne électorale de 1980, il s’empara de ma proposition de loi après qu’elle eut été adoptée par la Chambre et, n’en gardant que le numéro, y introduisit sous la forme d’un «amendement», son propre texte prévoyant une large réduction d’impôt. C’est ainsi que ma modeste proposition HR 5829 est devenue le moteur du grand débat fiscal qui s’est poursuivi au Congrès cette année-là. Mon bureau a reçu, on s’en doute, plus d’un appel de personnes intriguées par cette affaire. Mais le fait est que la répartition des rôles et des responsabilités entre la Chambre et le Sénat, telle qu’elle est décrite dans les manuels, est devenue de plus en plus floue au cours de ces dernières décennies.

De tous les changements qu’a connus le Congrès depuis sa création, il y a plus de deux cents ans, c’est sans doute celui qui a affecté le Sénat qui surprendrait le plus les fondateurs. Ils avaient réparti les pouvoirs et les responsabilités entre les deux assemblées, laissant, par exemple, à la Chambre l’initiative en matière de législation fiscale et au Sénat la ratification des traités et des nominations présidentielles. Mais ils leur avaient également attribué des rôles distincts dans le processus législatif. 

La Chambre, dont les membres étaient élus tous les deux ans, devait être étroitement en phase avec les besoins, les désirs et les souhaits du peuple américain et lui servir de porte-parole. Le Sénat, dont les membres représentaient les États avec un mandat de six ans, serait davantage au-dessus de la mêlée: il se pencherait sur les lois adoptées par la Chambre sous le feu des passions populaires et les examinerait de façon plus réfléchie.

Les fondateurs étaient très clairs sur la nature distincte du Sénat. Comme l’a expliqué George Washington, de même que nous versons le café dans une soucoupe pour le refroidir, de même «nous versons les projets de loi dans la soucoupe sénatoriale pour les rafraîchir ». Au fil des années, diverses modifications ont altéré ce rôle essentiel, notamment le Dix-Septième amendement, ratifié en 1913, prévoyant que les sénateurs seraient, eux aussi, élus directement par le peuple, les tente pas moins que les ms sensibles à l’opinion publique. 

Il n’en reste pas moins que les membres de la Chambre ont sans doute, aujourd’hui encore, tendance à se considérer davantage comme des élus locaux travaillant sur des projets locaux, entretenant d’étroites relations avec les responsables au niveau des comtés et des villes, s’attachant à maintenir un contact direct avec les électeurs par le biais d’une multitude d’assemblées municipales tandis que les sénateurs ont davantage tendance à avoir d’eux-mêmes l’image de personnalités de stature nationale. Les membres de la Chambre restent généralement plus sensibles aux réactions immédiates de l’opinion, tandis que le Sénat demeure une assemblée davantage portée à la réflexion en profondeur.

Il existe bien d’autres différences entre les deux assemblées, qu’il s’agisse du plus large pourcentage de votes nécessaire pour clore les débats et faire avancer un projet de loi au Sénat, ou de la tendance des sénateurs à se comporter en généralistes couvrant un large éventail de questions, alors que les membres de la Chambre sont plutôt des spécialistes extrêmement compétents dans les domaines plus restreints dévolus à leurs commissions. Une des différences essentielles tient au nombre de membres que compte chacune des deux assemblées. 

La Chambre réunissant un nombre beaucoup plus élevé de parlementaires, les règles y sont plus strictes et le parti majoritaire y détient un pouvoir nettement plus large pour faire avancer un projet de loi: la majorité à la haute main sur la procédure, et qui contrôle la procédure contrôle l’issue du scrutin. Si le parti majoritaire à la Chambre parvient à maintenir la cohésion de ses membres, la minorité est pratiquement hors jeu.

Chaque membre du Sénat, en revanche, à quelque parti qu’il appartienne, peut largement intervenir dans le processus législatif, étant autorisé à discuter toute mesure aussi longuement qu’il lui plaît et à proposer n’importe quel amendement – même s’il n’a aucune compétence dans ce domaine. D’une manière générale, les règles de fonctionnement de la Chambre privilégient la majorité de sorte que la volonté populaire prévaut sans que la minorité parvienne à la faire taire tandis que celles du Sénat avantagent la minorité, lui donnant la possibilité de freiner la majorité dans son élan.

Il est une constante qui veut que chacune des deux assemblées voit dans l’autre un obstacle à surmonter dans le processus législatif, les membres de la Chambre se montrant souvent agacés par les procédures du Sénat, et réciproquement, surtout lorsque le texte en cours d’examen revêt une importance particulière. C’est presque un sujet de plaisanterie continuel chez les parlementaires que de dire que c’est l’autre chambre qui cafouille et qui est responsable des ratés du processus législatif. Mais il existe aussi entre les deux assemblées une véritable compétition et dont les effets sont globalement positifs – chacune s’employant à être la première à se saisir des questions d’actualité, à promouvoir les textes de loi importants et à répondre aux crises auxquelles est confrontée la nation.

Bien que la plupart des citoyens n’en aient pas vraiment conscience, notre système bicaméral, avec ses deux assemblées d’égal pouvoir, confère à notre Congrès une place à part lorsqu’on le compare à la plupart des autres systèmes en vigueur dans le monde. Les rôles respectifs assumés aujourd’hui par la Chambre des représentants et le Sénat ne sont peut-être pas exactement ceux qu’avaient prévus les fondateurs, mais des différences importantes demeurent, qui d’une manière générale améliorent la qualité d’ensemble des travaux du Congrès.

Ce texte est un extrait du livre « Comment Fonctionne Le Congrès Américain » écrit par Lee H. Hamilton.

Nous vous invitons à lire l’article suivant « Le Congrès en fait plus qu’il n’y paraît« .

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