Dans toute discussion autour d’une initiative, une série de questions devrait se poser en vue de discerner si elle offrira ou non un véritable développement intégral: pour quoi? Par quoi? Où? Quand? De quelle manière? Pour qui? Quels sont les risques? À quel coût? Qui paiera les coûts et comment le fera-t-il (François, Laudato si, 185)?

Nous venons de le voir, l’ère numérique met fortement l’accent sur la résolution de problèmes. Elle nous invite donc à les identifier en essayant de différencier ce qui est de l’ordre du symptôme de ce qui est la cause première.

Un exemple ultra-simpliste pourrait être celui des agences bancaires. L’intelligence artificielle va tuer les agences bancaires. Pourquoi? Parce que les gens ne vont plus dans les agences bancaires. Pourquoi? Parce qu’ils peuvent obtenir le même service par Internet. Pourquoi? Parce que leur conseiller bancaire apporte peu d’humanité et peu de solutions personnalisées.

Pourquoi? Parce qu’il est peut-être mal formé (cause facile), parce qu’il existe une réglementation contraignante et que la banque est pleine de process de gestion des risques (cause plus complexe) et parce qu’il n’a donc pas le pouvoir, à son niveau, de fournir une solution originale et créative (symptôme). Le problème à résoudre pourrait s’énoncer ainsi: comment mettre en œuvre la subsidiarité dans un univers contraint réglementairement?

Dans Fides et Ratio, Jean-Paul II ne dit pas autre chose: Un grand défi qui se présente à nous au terme de ce millénaire est de savoir accomplir le passage, aussi nécessaire qui est urgent, du phénomène au fondement.

La manière dont le design thinking pense pouvoir résoudre cela, c’est la phase d’empathie que nous avons vue juste avant. Le design thinking part du principe qu’appréhender les choix et les comportements des gens en les interrogeant permet de comprendre leurs besoins, de les modéliser et d’y apporter des réponses. Cette phase d’empathie nécessite donc de maîtriser l’art du questionnement, afin de plonger tout au fond du problème que les gens rencontrent. Il y a quelques clefs pour apprendre à poser les bonnes questions.

Car le discernement ignatien est un questionnement intérieur méthodique qui soupèse les éléments, porte un jugement, combat le mal et sa tristesse, console et laisse l’Esprit Saint guider la décision.

Si le discernement est l’art de déterminer la volonté de Dieu, le design thinking est quant à lui l’art de déterminer le problème de l’utilisateur. C’est moins spirituel, mais cela peut malgré tout nous enseigner quelques règles d’un bon questionnement:

• préparer l’entretien;

• poser la question du « pourquoi?» à chaque réponse, afin de creuser davantage;

• être curieux, comme un enfant de quatre ans qui s’émerveille;

• interroger également des utilisateurs extrêmes qui amplifient le besoin ;

• prendre en considération, sans jugement, les petites histoires qui seront révélatrices;

• ne pas simplement entendre, mais écouter sans penser à autre chose, attentivement;

• ne pas avoir peur du silence et observer les signes non verbaux et comportementaux, qui donneront des indices sur le problème profond;

• poser des questions neutres, non binaires, sans suggérer de réponses.

Il y aurait beaucoup d’autres enseignements à tirer; néanmoins, nous comprenons à ce stade que la mise en œuvre de la doctrine sociale est avant tout un questionnement, dans un cadre moral prédéterminé par les principes évoqués auparavant et par cette révélation de Benoît XVI (cardinal Ratzinger, à l’époque) qui résumait le catéchisme par la connaissance du Credo (ce que je crois), des Dix Commandements (ce que je vis), des sacrements (ce que je célèbre) et du Notre-Père (ce que je prie).

Quand on envisage de résoudre les problèmes du monde, comme le revendique l’ère numérique, le discernement moral apparaît fondamental. Face à la décision et avant l’action, nous devons comprendre et questionner le monde intelligemment pour y apporter des réponses concrètes.

«Trouver la question est plus difficile que de trouver la réponse. Si vous pouvez formuler correctement la question à un problème posé, alors la solution jaillira naturellement», avance Elon Musk, cofondateur de PayPal.

Pour trouver la cause première, le besoin fondamental à combler, Elon Musk s’inspire d’Aristote et des physiciens modernes. La plupart des gens, quand ils se lancent dans une innovation, fonctionnent par analogie. 

On regarde ce qui se fait ailleurs, on s’en inspire, on améliore. Mais cela ne crée pas de réelle rupture. La théorie physique des premiers principes fonctionne différemment. Elle creuse, dépouille, met tout à plat jusqu’au moindre détail pour construire autrement. L’objectif est de partir d’une affirmation dont nous sommes absolument certains qu’elle est vraie. 

On disait à Elon Musk qu’une batterie de 600 dollars était trop chère; il s’informa du cours de ses éléments constitutifs (carbone, nickel, aluminium, polymères, etc.) sur le marché et tomba sur 80 dollars. La vérité ne résidait pas dans la valeur de ces composants, mais dans l’organisation, le process, la construction globale qu’il fallait réinventer. Elon Musk n’imite pas. II est du reste pertinent de constater que plusieurs grands succès de la Silicon Valley ont pour initiatrices des personnes porteuses d’un quasi-syndrome d’Asperger, c’est-à-dire peu capables de sociabilisation et d’imitation; les grands innovateurs cherchent en profondeur dans le silence de leur être.

Cette cause première aristotélicienne, saint Thomas d’Aquin l’identifiera à Dieu: Supprimez la cause, vous supprimez aussi l’effet. Donc, s’il n’y a pas de premier, dans l’ordre des causes efficientes, il n’y aura ni dernier ni intermédiaire. Mais si l’on devait monter à l’infini dans la série des causes efficientes, il n’y aurait pas de cause première; en conséquence, il n’y aurait ni effet dernier ni cause efficiente intermédiaire, ce qui est évidemment faux.

Il faut donc nécessairement affirmer qu’il existe une cause efficiente première, que tous appellent Dieu. Passer d’Elon Musk à la preuve de l’existence de Dieu selon Aristote ou saint Thomas peut surprendre, mais n’est pas abusif.

Dans ce questionnement qui conduit l’ère numérique à aller au fond des choses, à déterminer le vrai problème en faisant fi des seuls symptômes pour ensuite y apporter une réponse et combler un besoin, il existe bien quelque chose dont nous, hommes et femmes désireux de mettre en pratique la doctrine sociale de l’Eglise, pouvons nous inspirer. Car ce questionnement nous encourage à la charité, qui ne peut se dissocier de la vérité. Plus on creuse, plus on cherche Dieu…

Ce texte est un extrait du livre « DIEU, L’ENTREPRISE, GOOGLE ET MOI » écrit par Thomas JAUFFRET.

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