Le Congrès en fait plus qu’il n’y paraît.
Faites une plaisanterie sur les politiciens qui se chamaillent à Washington et sur le Congrès pour lequel «il est urgent de ne rien faire », et vous pouvez être sûr d’obtenir les rires et l’approbation du public. Ces critiques sont aussi vieilles que la république et ont toujours le même succès. La dénonciation par Harry Truman, en 1948, de l’immobilisme du Congrès – the do-nothing Congress fut le slogan de campagne qui lui permit de rattraper son retard et de l’emporter sur Thomas Dewey. La presse s’est emparée du thème, avec des titres du genre: «Le Congrès immobile? C’est une bonne chose», ou encore: «Longue vie au Congrès immobile!» Mais le scepticisme traditionnel des Américains à l’égard du Congrès paraît avoir pris ces derniers temps un tour nettement plus sinistre et s’être transformé en pur cynisme.
Il arrive parfois au Congrès de ne pas pouvoir se targuer d’avoir accompli un travail législatif éblouissant, c’est vrai. Il présente généralement une longue liste de questions restées en suspens, et c’est là une faiblesse dont ses membres ont pleinement conscience.
À longueur d’année, au cours des week-ends qu’ils passent dans leur circonscription ou pendant les vacances parlementaires – ils vont à la rencontre de leurs électeurs, et ceux-ci leur demandent simplement: «Qu’avez-vous fait de concret, vous autres, au Congrès?» Même les listes des sujets de discussion établies par les leaders ne permettent pas aux parlementaires d’apporter une réponse tant soit peu convaincante à la question.
Je crois donc important de souligner deux choses à propos du Congrès. La première, c’est qu’il est tout à fait capable de voter une législation susceptible d’avoir un impact considérable sur la vie des gens, notamment s’il existe un net consensus national pour soutenir l’idée qui la sous-tend ou s’il s’agit d’une décision urgente et impérative en cas de crise. La seconde, c’est que même lorsqu’il ne donne pas naissance à des lois fracassantes, ses membres travaillent sur des sujets qui, pour n’être pas tout autant placés sous les feux de l’actualité, n’en contribuent pas moins à améliorer les conditions de vie aussi bien chez nous qu’à l’étranger.
Il est étonnant de constater avec quelle rapidité nous oublions que le Congrès a participé à d’importantes réalisations au cours de ces dernières années – qu’il s’agisse de la refonte du système de protection sociale, de la révision de la législation sur les télécommunications, de la libéralisation des échanges commerciaux ou de l’élargissement de l’OTAN. Si le Congrès actuel vote peu de lois retentissantes, peut-on pour autant dire que ses membres sont payés à ne rien faire? Certainement pas. Ils travaillent notamment sur des problèmes fort complexes dont la résolution pourra s’échelonner sur plusieurs législatures. Ainsi, les lois sur la qualité de l’air (Clean Air Act) et sur la réforme de l’immigration (Immigration Reform Act) ont demandé le travail de plusieurs législatures en raison de leur complexité.
Il arrive aussi que le Congrès soit aux prises avec des questions sur lesquelles il existe de profonds désaccords aussi bien au sein de la population qu’entre les partis politiques; parvenir à un compromis est alors particulièrement difficile. S’agissant des récents Congrès, les électeurs ont très souvent compliqué l’action législative en donnant la majorité du Congrès à un parti et en portant à la Maison-Blanche un président issu du parti opposé. Les critiques ont beau jeu d’accuser « la politique» d’être responsable du blocage, mais on peut aussi voir les choses sous un autre angle: lorsque le gouvernement du pays est ainsi divisé, les partis se tournent vers les électeurs, leur exposent leurs positions respectives sur les questions en débat et leur demandent de trancher lors des élections de novembre, ce qui permet éventuellement de sortir de l’impasse. C’est la démocratie en action. Le processus peut paraître long et décourageant, mais c’est comme cela que fonctionne parfois la démocratie pour ne pas dire la plupart du temps.
C’est une tâche fort difficile que de conduire la politique de notre nation, surtout en l’absence de signaux clairs et décisifs de la part des électeurs.
Les journalistes ont tendance à émettre des jugements hâtifs sur «l’immobilisme» du Congrès en plein milieu de la législature, pour s’appesantir ensuite sur les questions les plus brûlantes à l’origine du blocage législatif. Les médias préfèrent montrer ce qui va mal plutôt que ce qui va bien. Ils accordent beaucoup moins d’attention au travail courant, mais crucial, qu’accomplit le Congrès dans d’autres domaines, notamment les affectations annuelles de crédits qui financent un large éventail de services fédéraux dont dépend étroitement la vie de chaque Américain.
À chacune de ses sessions, le Congrès vote les crédits aux différents ministères, agences et programmes du gouvernement fédéral, après un examen minutieux de leur action passée. Sont par ailleurs adoptées des dizaines de lois qui, par nature, échappent à la controverse et à l’antagonisme des partis; bien que nombre d’entre elles puissent être d’une portée plus modeste, elles n’en répondent pas moins à des problèmes et à des besoins précis.
Et chaque année, le Congrès procède à des auditions pour que puissent s’exprimer les divergences de vues sur les sujets les plus importants, surveille le comportement de l’exécutif, examine les traités et les nominations auxquelles a procédé le président, et traite les problèmes soulevés par les électeurs.
Certaines législatures paraîtront sans doute moins fécondes que d’autres. Il est cependant rare que la production législative tombe franchement au-dessous de 400 nouvelles lois promulguées au cours d’une législature; et il est tout aussi rare qu’une législature s’achève sans que le Congrès ait adopté, au cours d’un cycle de deux ans, ne serait-ce qu’un petit nombre de lois d’importance réellement majeure. Les membres du Congrès savent bien qu’ils sont là pour légiférer et ont à cœur d’accomplir leur mission.
Même lorsqu’une législature n’est pas appelée à laisser une trace marquante dans l’histoire, il faut savoir qu’il se fait plus de choses au Congrès qu’on ne le croit généralement…
Ce texte est un extrait du livre « Comment Fonctionne Le Congrès Américain » écrit par Lee H. Hamilton.
Nous vous invitons à lire l’article suivant « Une Institution Complexe« .
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