J’étais le premier élève de l’école spéciale à être autorisé à poursuivre les études dans l’enseignement général.

A la fin de l’année scolaire 1998, mes professeurs de l’enseignement spécial conclurent que j’étais apte à commencer les études dans l’enseignement normal. Ils avaient considéré que mon niveau de Néerlandais ainsi que ma détermination étaient suffisants pour continuer l’aventure et arriver jusqu’au bout. Je désirais personnellement poursuivre les études secondaires dans l’enseignement général car au pays, j’étais en classe de première du système français (5ème belge) lorsqu’il avait fallu voyager. Je souhaitais obtenir un baccalauréat général, puis continuer à l’université et obtenir un titre. 

Cependant, la direction du lycée d’Anvers estimait qu’il n’était pas possible pour un élève de l’école spéciale de poursuivre ses études dans l’enseignement ordinaire général à cause des exigences linguistiques élevées. La direction du lycée était convaincue que les matières littéraires de l’enseignement général nécessitaient une excellente maîtrise de la langue pour être comprises et que ce niveau de maîtrise ne pouvait être obtenu en quelques mois d’apprentissage de la langue. 

En règle générale, les élèves comme moi qui avaient suivi cette formation spéciale devaient s’inscrire dans l’enseignement professionnel, à l’exception des plus brillants qui étaient autorisés à poursuivre dans l’enseignement technique. Mon cas allait néanmoins être particulier car ma destinée était déjà tracée par Dieu. Mes professeurs de l’école spéciale avaient foi en mes capacités intellectuelles et ils étaient tous unanimes pour dire que ce serait du gâchis si on me contraignait à suivre une formation de type professionnel ou technique. 

Mes professeurs voulaient que je réussisse ma vie de manière extraordinaire. Ils avaient de merveilleux rêves pour moi, ce qui dépassait mon entendement. C’est comme si Dieu leur avait dit que ma place était au sommet. Le dernier jour de classe, avant les grandes vacances, mes professeurs se réunirent en comité sous la direction de Madame Spijckaert et allèrent voir le directeur du lycée pour lui parler de mon cas et essayer de le convaincre de m’autoriser à m’inscrire dans l’enseignement général. 

Le directeur du lycée, Monsieur Coppens, fut très surpris de la mobilisation des professeurs et surtout de la nature de leur requête. Monsieur Coppens écouta attentivement mes professeurs, puis il leur répondit qu’il était navré, mais qu’il ne pouvait pas m’inscrire en enseignement général car je ne pourrai pas suivre le rythme ce qui ne serait pour moi d’aucune utilité. Les professeurs répliquèrent en mettant en avant mes résultats scolaires, mon caractère et mon attitude. Ils essayèrent de me défendre du mieux qu’ils purent, sans succès. 

Avant de clôturer la réunion avec le directeur, Madame Spijkaert lui demanda s’il pouvait me laisser suivre les cours dans l’enseignement général pendant un trimestre avant de décider de me maintenir ou de m’orienter ailleurs. Selon la proposition de Madame Spijckaert, mes résultats scolaires à l’issue de ces trois mois d’essai devaient permettre au directeur du lycée de prendre une décision objective. Monsieur Coppens accepta la proposition et ordonna qu’on m’inscrive en cinquième année en filière sciences humaines et langues modernes. 

Mes professeurs vinrent ensuite me trouver dans la cour de récréation et me partagèrent l’excellente nouvelle. Je fondis en larmes de joie ; pas seulement à cause de ce miracle, mais à cause de la disposition du cœur de mes professeurs à mon égard. Je n’arrivais pas à comprendre pourquoi ces professeurs faisaient tout cela pour moi. Qu’est-ce qui les motivait ? Et surtout, pourquoi ne faisaient-ils pas cela avec tous les élèves ? 

Voilà autant de questions sans réponses qui venaient dans mon esprit. De manière certaine, Dieu était en train d’incliner en ma faveur le cœur de toute personne que je rencontrais. C’était comme si le Seigneur empruntait le corps de chacune d’entre elles pour agir Luimême en ma faveur. J’étais très reconnaissant envers ce Dieu qui veillait sur les orphelins. 

Le banquier de mes amis libériens

Après avoir quitté le centre d’accueil des demandeurs d‘asile de Kapellen, je m’étais installé avec mon ami Sheriff dans une chambre d’une maison occupée exclusivement par des libériens. Il y avait une dizaine d’hommes dont les âges variaient entre dix-huit et trente huit ans. Ils venaient tous de la même région et étaient tous musulmans. 

Mon ami Sheriff était le plus jeune de leur communauté mais le plus influent grâce à la notoriété de son père dans leur région d’origine au Libéria. Lorsque Sheriff leur dit qu’il voulait que je vienne habiter avec eux, ils s’y opposèrent car je n’étais ni Libérien, ni musulman. Heureusement, Sheriff insista et son influence finit par faire la différence. Étant là contre leur gré, ils ne m’accueillirent pas avec enthousiasme. 

Mais leur attitude à mon égard s’améliora très vite lorsque je commençai à solutionner certains de leurs problèmes. Le premier problème pour lequel j’apportai une solution fut la traduction des courriers. Ils ne maîtrisaient pas la langue Néerlandaise, ce qui leur posait de sérieux problèmes pour comprendre le contenu de certains courriers importants qu’ils recevaient quotidiennement dans leur boîte aux lettres. Tous venaient me voir à tour de rôle pour la traduction de leur courrier. 

Après la phase de traduction, ils me sollicitaient également pour les aider à y donner suite. Je me retrouvais donc régulièrement à les conseiller par rapport aux démarches à entreprendre. Ils étaient tellement reconnaissants de m’avoir parmi eux qu’ils décidèrent de diminuer davantage le montant de mon loyer. En plus de mes fonctions de traducteur et conseiller, je devins très vite un prêteur d’argent. Le fait de mener une vie très modeste me permit d’épargner au moins la moitié du montant de mes allocations sociales mensuelles. 

Lorsque je recevais le montant des allocations, je mettais automatiquement la moitié, soit quatre cent euros environ de côté. Je ne dépensais pas mon argent parce que j’avais choisi de toujours me limiter à l’essentiel. Or, les choses essentielles de la vie étaient également accessibles à moindre coût. L’eau, par exemple, est essentielle et accessible au robinet. Le vêtement est essentiel dans la mesure où il couvre la nudité et protège des intempéries. Cela signifie qu’il est suffisant d’avoir deux ou trois vêtements qu’on lave et qu’on entretient. 

La nourriture est essentielle dans la mesure où on se limite aux nutriments et aux quantités dont le corps à besoin pour bien fonctionner. Les connaissances sont essentielles et accessibles gratuitement dans les bibliothèques. Les bons amis sont essentiels et accessibles partout en fonction de notre manière de les traiter car la qualité de l’amitié dépendra toujours de ce qu’on y sème. Les rêves d’un avenir meilleur sont essentiels et accessibles à tous. Il suffit de fermer les yeux… 

Mes amis Libériens avaient de plus gros revenus mensuels que moi parce qu’à l’exception de Sheriff, tous travaillaient. Cependant, ils n’arrivaient pas à épargner à cause de leur niveau de vie assez élevé. Chaque fois qu’ils se retrouvaient à court d’argent, ils faisaient appel à moi car tous savaient que j’avais toujours beaucoup d’argent. C’est ainsi que je leur prêtais de l’argent régulièrement. Je les encourageais à planifier et à vivre pour l’essentiel afin de pouvoir épargner. Ils n’étaient malheureusement pas disposés à suivre mes conseils. 

Beaucoup n’avaient pour seule ambition de vie que d’arriver en Belgique. Maintenant qu’ils y étaient, tout était accompli. Il n’était plus question pour eux de planifier et d’épargner. Ils avaient choisi le genre de vie qu’ils voulaient mener. Je n’avais donc pas le droit de les juger et je m’abstins de le faire. Ils avaient fait un choix que je respectais sans prétendre que le mien était meilleur. 

Tous savaient que j’étais différent mais que je ne les jugeais pas pour autant. Ils savaient que mon respect et ma considération pour eux étaient inconditionnels. Je leur prêtais de l’argent et, très souvent, ils remboursaient dans les délais. Mon argent n’était donc pas seulement à la banque…

Ce texte est un extrait du livre  » DU GHETTO AU BARREAU  » écrit par Dominique MBOG.
Nous vous invitons à lire l’article suivant “ Mon Premier Jour À L’université “.

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