Mikhaïl découvre les qualités de sa femme par la bouche d’Hector
Hector observait Mikhail, comme pour s’assurer qu’il pourrait tenir, le reste de la conversation. Il avala une dernière gorgée avant de déposer son verre. Il croisa les bras et s’adossa pleinement sur son siège fixant Mikhail droit dans les yeux.
— Si, je l’ai déjà accueillie ici.
Mikhail devint pâle. Il aurait souhaité l’insulter de toute sa force mais sa mâchoire s’alourdit et sa bouche s’assécha. Il baissa les yeux un moment. Sa respiration bruyante mêlée à ses gémissements profonds envahirent la pièce.
— Vous avez couché avec ma femme ?
– Qu’est-ce que ça peut te faire ?
— Je vous demande pardon ?
– J’ai été marié trois fois. Je connais les femmes. Je sais reconnaître quand une femme est délaissée par son mari. Et Sandrine en fait partie. Alors qu’est-ce cela peut te faire qu’elle sorte avec un autre ?
Mikhail se leva dans la direction de Hector, oubliant sa
douleur.
— Espèce d’ordure ! dit Mikhail en se levant dans la direction d’ Hector, oubliant sa douleur physique. Je vais vous…
— Hey ! Hey ! Tranquilo ! fit Hector le menaçant à
nouveau de son arme.
Mikhail stoppa son élan face au canon pointé sur lui. Il inspira profondément pour retrouver son calme. Il fut contraint de doucement se rasseoir, le regard plus que jamais belliqueux. Le garde Riccardo ouvrit la porte du salon, alerté par le ton de la voix de Mikhail. Hector lui fit signe que tout allait bien et le somma à nouveau de sortir.
Il se leva, donnant dos à Mikhaïl, face à la fenêtre. Pensif.
Mikhaïl songea à l’attaquer par-derrière, mais il se ravisa. Ce serait improductif et dangereux. Son garde du corps interviendrait dans la minute. De plus, il avait besoin de réponses, et Hector semblait disposé à les lui donner.
— Je veux savoir. Quel type de liaison entretenez-vous avec ma femme ?
– Ma relation avec Sandrine est purement professionnelle. Il y a un an et demi, j’avais besoin d’un directeur financier compétent, pour la gestion de mes succursales françaises.
Sandrine m’a été recommandée. Au premier abord et en parcourant son CV, elle n’était pas la plus qualifiée pour le poste, par rapport à l’envergure de mon activité et du chiffre d’affaires considérable que cela représentait. Mais quand je l’ai reçue en entretien, j’ai tout de suite su qu’elle avait quelque chose de différent. Elle était spécialement déterminée à occuper ce poste. Elle s’était méticuleusement renseignée sur mon business et mes affaires. Je fus impressionné. Mais c’est sa ressemblance avec ma mère, qui je pense, a été le point déterminant.
— Votre mère est rousse ? s’étonna Mikhail.
– Non, estúpido . Je ne parle pas de son aspect physique.
Je parle de son esprit. Elle a en elle quelque chose que ma mère possède aussi. Elle dégage une aura particulière. Sa seule présence est suffisante pour apaiser l’atmosphère. En outre, elle a toujours les mots et les propositions qu’il faut pour préserver mon entreprise de décisions catastrophiques. Une véritable perle.
Hector se retourna et remarqua le regard incrédule de
Mikhail.
– Nul n’est définitivement prophète dans sa maison, sourit Hector. J’ai l’impression de te décrire une personne qui t’est totalement étrangère. C’est visiblement une facette de ton épouse que tu ignores.
— Je suis surtout étonné de voir qu’un homme de votre carrure puisse croire au monde des esprits et à toutes ces
balivernes.
– Petit prétentieux, s’esclaffa Hector. Tu n’es vraiment qu’un gros naif. Peut-être qu’Audrey est partie trop vite en besogne te concernant, pour finir. Si tu penses que le monde dans lequel nous vivons s’arrête à ce que nous voyons, sache que ton ascension au sommet est déjà vouée à l’échec.
— Je ne comprends pas…
– Merced ®. Je n’ai pas l’intention de t’expliquer tout cela. Ce soir, lors de ta réunion d’initiation, tu en apprendras certainement beaucoup plus. Ils t’expliqueront ces choses.
— Une réunion d’initiation ?
— Oui. C’est bien de cela qu’il s’agit.
— Mais vous n’y serez pas, à la réunion de ce soir…
Puisque votre jet privé s’apprête à décoller pour Malaga.
Hector dévisagea Mikhaïl un instant, éberlué par le fait qu’il avait eu accès à une information si confidentielle concernant son plan de vol, avant de se retourner vers la fenêtre de la suite.
— Cette réunion est réservée aux membres actifs du « Collégium » … Et je n’en fais pas partie. Je suis juste une voix dans l’équipe dirigeante qui possède le droit de véto.
— Et pourquoi n’en faites-vous pas pleinement partie ?
demanda Mikhail désorienté.
– La foi de ma mère.
— La foi de votre mère ? Mais quel est le rapport avec le «Collégium» ?
— Tout est lié. Il y avait certaines limites qu’elle m’imposait quand je n’étais qu’un jeune gamin toujours accroché à ses jupons. En grandissant, il m’a été difficile de me défaire de certains principes. Elle va me manquer…
— Elle est décédée ?
– Non. Elle aussi est partie aujourd’hui. Comme Sandrine.
— Elle aussi fait partie… des disparus ? Sandrine n’est définitivement pas ici alors ?
Mikhail s’affala sur le siège rembourré. Il sentit un vertige l’envahir. Il peinait à réfléchir correctement. Un soudain mal de crâne le saisit. L’Espagnol récupéra l’arme déposée sur la table à manger et s’approcha de Mikhaïl d’un pas assuré.
Mikhail sentit le métal froid du canon caresser les contours de son visage. Hector lui chuchota à l’oreille.
– Tu redoutais de trouver ta femme dans le lit d’un autre. Mais quelque part cela t’aurait rassuré qu’elle soit dans mes appartements, n’est-ce pas? Au moins tu aurais retrouvé ton épouse et tu saurais à quoi t’en tenir. Je serais pour toi un ennemi visible, contre qui tu pourrais essayer de te battre.
Mais maintenant, ton désarroi est bien plus grand que tu ne l’aurais imaginé. Tu as définitivement perdu le contrôle de la situation.
— Je ne comprends pas. Et ces billets d’avion. C’est vous qui les avez achetés !
– Oui, c’est vrai. Je n’ai pas eu d’aventures avec ton épouse. Mais ce n’est pas comme si je n’avais pas essayé.
– Comment? sursauta Mikhail.
— Calme-toi, dit-il en se redressant. Elle m’a toujours résisté. Avec beaucoup de classe et élégance, je dois l’admettre.
Mikhaïl feignit un sourire de soulagement.
— Ne te réjouis pas si vite. Ce n’est pas par égard pour toi qu’elle m’a dit non. Elle a des valeurs fortes et une foi ferme.
Elle est une belle âme. Elle est tellement… ravissante.
Une intense sudation remplaça les vertiges de Mikhail. II se tortillait dans son siège alors qu’il observait le regard amoureux d’Hector évoquant le souvenir de Sandrine. Sa large moustache dévoilait un sourire inconscient. Le ton de sa voix devenait attendrissant et suave.
— J’ai très vite compris que votre mariage battait de l’aile, continua Hector comme précipitamment réveillé. Alors je lui ai proposé de changer d’air en venant me rejoindre avec votre fils. Elle ne voulait pas. J’ai insisté et leur ai acheté personnellement ces deux billets, pour Malaga, mon fief. Ma maison. Je voulais lui montrer qui je suis réellement, chez moi. Elle pourrait m’y rejoindre quand elle le voudrait, tout le temps qu’elle souhaiterait. Ce fut ma dernière tentative, il y a deux semaines.
– Il y a deux semaines vous dites ? C’est impossible !
Vous mentez ! Parce qu’hier soir vous étiez chez moi.
— Mais qu’est-ce qui te fait croire que je suis venu chez toi hier soir ?
— J’ai retrouvé un de ces cigares chez moi ce matin, dit Mikhaïl en pointant furieusement du doigt une seconde boîte de cigare qui agrémentait le bar.
— C’est l’une de mes sociétés qui produit ces cigares de marque. Mais personnellement, je ne fume pas. Déformation militaire oblige. Sache que j’ai de la dignité et j’ai la notion du respect. Je ne suis pas allé chez toi.
— Je ne comprends plus rien… Je pensais que votre absence à votre propre fête était due au fait que …
– J’avais un échange important avec ma mère. Elle était de passage à Paris et tenait absolument à me voir. Pour moi, mamà est plus importante que toutes mes entreprises réunies. J’ai passé la soirée avec elle ici dans mon hôtel. Elle a ses appartements au même étage que moi.
Mikhaïl perçut un tremblement soudain dans sa voix, trahissant une pénible émotion. Hector détourna son visage sur lequel ruisselait des larmes. Il s’appuya sur le bar agrippant le comptoir au point d’en faire craquer le bois.
— Elle a passé toute la soirée à tenter de me faire revenir à la raison, comme elle aimait le dire. Ce n’était pas la première fois qu’elle essayait de me transmettre la foi. Depuis notre enfance, elle nous a toujours enseigné, à mes frères et moi, la nécessité de croire en l’existence d’un Être Supérieur en qui nous devrions nous confier. J’ai toujours eu du mal à croire à ce Dieu soi-disant Tout-Puissant qui a laissé une belle femme comme mamà, se débrouiller seule pour élever quatre garçons et endurer autant de souffrances, pour pourvoir aux besoin de ses enfants, après avoir été abandonnée par son lâche de mari… Indigne de père. C’est la raison pour laquelle, je me suis battu et promis de ne jamais manquer de quoi que ce soit.
Il donna un coup sur le mobilier du bar qui se fissura instantanément sous l’intensité de l’impact. Mikhaïl ressentit étrangement de l’empathie pour Hector. Il se reconnaissait quelque peu dans son histoire. Était-ce la raison pour laquelle Sandrine s’était tant efforcée pour travailler avec son entreprise ? Voyait-elle en ce grand homme d’affaires une certaine ressemblance avec son mari ? L’empathie se changeait progressivement en admiration.
Mikhaïl se surprit à réconforter Hector d’une tape dans le dos. De manière tout aussi inattendue, Hector posa sa main sur la sienne en signe d’approbation. Mikhail retira aussitôt la sienne, faisant deux pas de recul, évitant de laisser paraître sa soudaine gêne.
— Mais elle a toujours été belle et forte, continua Hector en s’essuyant délicatement les yeux avec un mouchoir en tissu sorti de sa poche. Jamais elle ne prononçait de paroles négatives. Toujours confiante en son Dieu. « Confia en el Señor, bijo miolo » m’encourageait-elle à chaque occasion. Mamà est vraiment incroyable comme femme.
Il se retourna vers Mikhail.
– Mais hier, elle avait un ton extrêmement grave. Je ne l’ai pas reconnue. Elle me pressait de faire le bon choix et d’accepter dans mon coeur de faire le pas de la foi. Elle me menaçait presque. Comme si elle pressentait qu’un malheur était sur le point d’arriver et que j’étais en danger. Elle ne s’inquiétait absolument pas pour elle… Elle pleurait pour le monde qui ignorait son Señor ». Et ce matin, elle n’était plus là. Elle était partie.
-— Vous savez où est partie votre mère ?
— Certainement auprès de son Señor.
— Vous voulez donc dire… qu’elle est morte ?
— Je t’ai déjà dit que mamà n’est pas décédée. Elle est partie avec son Señor. Elle me répétait qu’un jour arriverait où Il viendrait la chercher, et qu’elle s’en irait avec Lui. Que ce serait un jour de joie pour elle et tous ceux qui attendaient cet événement. Mais un temps d’effroi pour tous les autres qui n’auront pas cru. Comme toi et moi…
— Je ne comprends pas…
– Moi non plus. Figure-toi que je ne saisis pas tout. C’est vraiment irréel tout cela n’est-ce pas ? Surtout pour quel. qu’un comme toi qui ne croit pas à la réalité d’un autre monde.
La porte coulissante s’ouvrit et le garde pressa son patron de descendre pour se rendre à l’aéroport. Hector prit sa veste qui était accrochée sur le rebord de l’une des chaises autour de la table à manger, et lui emboîta le pas pour partir.
– Non, attendez, fit Mikhaïl en lui barrant le passage. Si vous savez où votre mère est partie, vous devez me le dire. Il est probable que ma femme et mon fils y soient aussi. J’ai besoin de réponses.
— Si j’avais ces réponses, je te le donnerais. Mais je ne les ai pas. Si mamà était encore là, elle te les fournirait certainement avec joie. C’est elle qui avait la foi. Pas moi.
— Pourtant vous en savez déjà beaucoup. Beaucoup plus que moi et que plusieurs là-bas au dehors.
– Oui, tu as raison. Je le sais, avec ma tête. Mamà me disait toujours que je devais connaître avec mon cœur, et non avec mon cerveau, car la foi vient du cœur. Mais j’ai toujours craint de passer le cap.
– Serait-ce cette prétendue foi commune de votre mère et de ma femme qui aurait entrainé leur disparition ?
Mikhaïl haussa le ton involontairement, agrippant fébrilement les épaules d’Hector. Il le fixait avec intensité et ne pouvait pas arrêter le tremblement de ses membres.
— C’est ce que vous essayez de me faire croire ? hurla-t-il.
— Je ne cherche à rien te faire croire, dit-il en écartant Mikhail manu militari de son chemin. Tout ce que je sais, c’est que mamà et Sandrine partageaient une même foi. Je n’ai pas toutes les explications, et je n’ai plus le temps de te parler. Mon avion m’attend à l’aéroport du Bourget. Je vais te demander de partir, maintenant.
Il lui montra le chemin de la porte et lui rendit son arme non sans avoir pris soin d’en vider le chargeur. Mikhail arrivait au niveau du couloir quand Hector l’interpella une dernière fois.
— Si tu veux savoir où se trouvent Sandrine et mamà, va chercher une personne de foi comme elles. Si tu arrives encore à en trouver une. Tu as certainement dû pirater mon téléphone portable pour te retrouver ici. Alors je te saurais gré de me tenir informé au cas où tu les retrouverais.
– C’est entendu. Je n’y manquerais pas.
— Merci, amigo . Pour ta sécurité, Riccardo va t’escorter jusqu’à la sortie de l’hôtel. Maintenant, dégage de chez moi !
lui lança-t-il avec un sourire espiègle…
Ce texte est un extrait du livre « ILS SONT PARTIS » écrit par Teddy NGBANDA.
Nous vous invitons à lire l’article suivant “L’épreuve silencieuse de Sandrine“.
Comments (0)