Mon Premier Jour À L’université.
Le jour de ma rentrée universitaire fut un jour particulièrement mémorable et rempli d’émotions. Je n’arrivais tout simplement pas à réaliser que le jeune garçon du Ghetto qui avait grandi dans un environnement misérable pouvait s’intégrer dans un milieu produisant les leaders de la société. J’avais souvent entendu parler des « success stories » et des rêves américains mais jamais je n’avais imaginé que ma vie pouvait connaître un changement positif aussi brusque et radical.
Je me levai ce jour de bonne heure, plein d’enthousiasme à l’idée de découvrir la vie universitaire. J’étais curieux de découvrir quel type d’étudiants fréquentait l’université, la nature et le caractère des professeurs, l’équipement universitaire, les infrastructures, ainsi que les diverses activités. Je me souviens qu’à l’époque, j’avais regardé beaucoup de films américains où l’on voyait les jeunes garçons et filles se préparer à intégrer une université prestigieuse.
Ils étaient toujours très heureux de faire ce grand pas et de découvrir cette nouvelle vie. Les réalisateurs mettaient souvent l’accent sur la joie et surtout la fierté que les parents de ces nouveaux étudiants manifestaient à l’idée de savoir que leur petit garçon ou leur petite fille entrait dans sa destinée de manière excellente. Je m’attendais moi aussi à vivre de telles émotions à ma rentrée universitaire.
Je me réveillai très tôt pour ce grand jour et pris ma douche en chantant à voix haute. Je portai un pantalon jeans et une chemise à carreaux que je venais d’acheter pour l’occasion. Je mis à mes pieds une paire de mocassins en cuir souple. J’étais passé la veille chez le coiffeur parce que je voulais que mon accoutrement soit parfait. Je me parfumai et je pris mon sac avant de sortir. J’avais tout mis en œuvre pour faire une bonne première impression. J’avais appris que la première impression que les personnes ont de nous est la plus importante, car c’est elle que ces personnes retiendront pendant très longtemps.
Une fois sorti de la maison ce matin-là, je pris le premier bus en direction de l’université d’Anvers. Après moins d’une dizaine d’arrêts, le bus s’arrêta devant un très grand complexe universitaire. Je descendis du bus et commençai à me diriger vers le campus. Je devais me rendre au secrétariat de la faculté de droit afin d’avoir le programme des cours et voir les locaux dans lesquels ceux-ci allaient être dispensés.
Je longeai d’immenses allées vitrées, je traversai de grands espaces de rencontres et je montai divers escaliers avant d’arriver au grand local qui constituait le secrétariat de la faculté de droit. Je me renseignai et je reçus une petite brochure dans laquelle le programme de l’année ainsi que les locaux étaient indiqués. Je savais que ce matin, je devais me rendre au grand amphithéâtre où le doyen de la faculté de droit avait prévu de faire un discours.
Pendant que je me déplaçais de part et d’autre dans le campus universitaire, je constatai avec beaucoup de stupéfaction l’absence d’étudiants allochtones. La quasi-totalité des étudiants de cette faculté était belges. Ils portaient, pour la plupart, des vêtements de marques et étaient presque tous véhiculés. Les sujets principaux de leurs conversations étaient relatifs aux endroits paradisiaques dans lesquels ils allaient passer les vacances d’été, leurs projets de carrières ou encore les exploits professionnels de leurs parents respectifs.
Je m’étais vite rendu compte que la plupart de ces étudiants avaient au moins un parent qui détenait une formation de juriste et qui exerçait une profession telle que : avocat, huissier, notaire, politicien, professeur, juriste d’entreprise ou entrepreneur. Je compris très vite que la faculté de droit était une concentration de libéraux politiques qui demandaient plus de libertés individuelles et moins d’intervention de l’État de sorte à ce que les individus les plus méritants prospèrent davantage et que les plus faibles prennent leurs responsabilités.
Il m’apparut clairement que ces étudiants et moi ne pourrions jamais être amis car j’appartenais à la catégorie sociale « faible », recevant les aides de l’État (ce qui avait un impact financier considérable sur les impôts et les cotisations sociales que leurs parents devaient payer…).
En somme, cette catégorie d’étudiants estimait que leurs parents auraient pu gagner plus d’argent si les personnes comme moi étaient restées dans leur pays d’origine. Le fait que je fusse assis avec eux, sur les mêmes bancs d’université, était considéré comme une injustice car, non seulement leurs parents contribuaient à me nourrir et me vêtir ; mais j’avais en plus accès aux études qui feraient de moi un concurrent sur le marché de l’emploi.
En d’autres termes, ils m’aidaient à devenir un concurrent. Cette analyse psychologique des étudiants belges de la faculté de droit me permit de connaître ma place et de savoir à quoi je devais m’attendre durant les cinq années d’études universitaires à suivre. J’étais prêt pour ce nouveau combat qui s’annonçait très rude et demeurais confiant, car je connaissais déjà le profil de mon adversaire. Il ne pourrait donc jamais m’attaquer par surprise. Je me rendis donc à l’amphithéâtre pour suivre l’allocution du doyen de la faculté de droit et fus émerveillé par l’immensité de cette salle que je découvrais pour la première fois.
Les sièges, les tables pliables, les projecteurs, la sono et l’équipement du sol rendaient le lieu admirable. J’entrai dans cet amphithéâtre déjà à moitié comblé et allai m’assoir tout au fond de la salle, à côté d’une des portes de sortie. Je m’installai à cet endroit parce que je voulais avoir le moins d’interactions possibles avec les autres. Je voulais protéger mon âme contre toute pensée ou parole qui pourrait nuire à ma motivation et ma confiance en moi. Je ne voulais pas donner une occasion à un étudiant ignorant ou mal intentionné de me poser des questions telles que :
« Pourquoi as-tu quitté ton pays d’origine ? »
« Pourquoi ne retournes-tu pas en Afrique alors qu’il fait beau là-bas ? »
« Est-ce que tu te sens bien en Belgique ? »
« Vas-tu retourner en Afrique après tes études ? »
« De quoi vis-tu en Belgique ? Reçois-tu des allocations sociales ? »
« Aurais-tu pu poursuivre tes études si tu étais resté dans ton pays ? »
« Pourquoi les Africains sont-ils comme ceci ou comme cela ? »
« Avez-vous des écoles en Afrique ? »
« Pourquoi quittez-vous l’Afrique alors que ce continent a besoin de jeunes comme vous ? »
En effet, depuis mon arrivée en Belgique, j’avais été confronté à ces questions partout où je me rendais et où j’avais l’occasion de sympathiser avec un autochtone. Il était cependant singulier de constater que mes interlocuteurs n’écoutaient pas les réponses que je formulais à leurs questions. La vérité est qu’ils ne posaient pas ces questions parce qu’ils cherchaient des réponses. Ils voulaient, pour la plupart, me communiquer leurs arrière pensées. Ils m’envoyaient un message codé qui voulait dire :
« Il est pour nous préférable que tu ne restes pas dans ce pays, car ce pays ne peut pas contenir tout le monde entier ». Une autre partie de ce message codé voulait dire : « tant que tu seras en Belgique, manifeste de la reconnaissance envers ce pays et tais toi. Ne te plains jamais et ne revendique rien ».
J’avais résolu d’évoluer en solitaire à l’université afin d’éviter toute frustration provenant de questions ou propos qui témoigneraient de racisme ou de discrimination. M’assoir tous les jours sur le siège situé au fond de l’amphithéâtre à côté de la porte de sortie était une des mesures que je pris et que je décidai de respecter tout au long de mon cursus académique car mon objectif n’était pas de me faire des amis, mais d’avoir mon diplôme de Master en droit. Pour y parvenir, j’avais besoin de combattre tout ce qui était susceptible de me déconcentrer ou d’affaiblir mon esprit.
Dans l’amphithéâtre, le doyen de la faculté de droit pris la parole et souhaita la bienvenue à tous les étudiants présents dans la salle. Il prit le temps de nous expliquer le fonctionnement de l’université tout en mettant l’accent sur le règlement. Le doyen nous exhorta à être diligents, déterminés et proactifs car le plus important n’était pas de commencer la course mais de l’achever pour remporter la victoire. Il nous rappela qu’après une course, on se souvient seulement de ceux qui se sont distingués.
Le doyen nous encouragea à ne jamais attendre l’approche des examens pour commencer les révisions, mais de s’y préparer chaque jour. J’écoutais le discours du doyen de la faculté de droit avec beaucoup d’attention parce que je savais que les paroles que l’on adresse au début de chaque évènement comptent parmi les plus importantes de l’évènement. Cependant, je ne fus malheureusement pas en mesure de comprendre plus de la moitié de tout ce qui …
Ce texte est un extrait du livre » DU GHETTO AU BARREAU » écrit par Dominique MBOG.
Nous vous invitons à lire l’article suivant “ Personne Ne Me Voulait Dans Son Groupe “.
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