Extrait du livre « ILS SONT PARTIS ».
— Nous ne sommes pas sur un simple bateau. C’est un yacht. Et c’est inédit sur la Seine d’en voir un de cette envergure. Il appartiendrait à un puissant financier de la péninsule ibérique, selon ma source, grâce à qui nous sommes d’ailleurs ici.
– C’est complètement fou ! C’est tout le gratin de Paris qui est présent ici. Tu te rends compte ?
— Oui, je sais que c’est impressionnant, répondit posément Mikhail en récupérant son verre. Disons que j’ai le bras plus long que tu ne le penses. Certains d’entre eux continueraient de vivre et de travailler dans leurs minables taudis si je ne les avais pas aidés dans l’acquisition et la construction de leurs résidences et bureaux. Mais une personne parmi elles toutes se distingue particulièrement.
—Peut-être devrais-je abandonner la cyber sécurité pour devenir ton associé ! À ce que je vois, j’aurais plus de portes ouvertes en tant que promoteur immobilier. Comme cela je passerai plus de temps sur la Seine à faire la fête.
Une voix dans leurs dos les interrompit.
– Attention à ne pas basculer par-dessus bord. Le parquet de bois massif peut vite devenir glissant avec la rosée du soir.
—Bonsoir Audrey, sursauta Mikhail. La soirée est magnifique. Encore merci pour ton invitation. Je te présente Édouard, mon vieil ami d’université. Je t’en ai souvent parlé.
— C’est pas vrai ! Vous êtes Madame Darmand, bégaya Édouard ?! C’est un honneur de vous rencontrer.
Audrey acquiesça en lançant un regard de courtoisie en sa direction avant de tirer à l’écart Mikhaïl par le bras.
— Mais qu’est-ce que tu fabriques dehors sur le pont ? lui reprocha-t-elle de sa voix rauque. Je ne t’ai pas fait venir ici pour que tu sirotes des verres avec ton… pote. D’ailleurs pourquoi es-tu venu avec lui ? Enfin, peu importe ! Tu dois descendre et aller tisser des relations avec les gens qui sont en bas. C’est pour eux que tu es ici. Ne l’oublie pas !
— Je sais Audrey. Je sais.
—Je l’espère bien ! Il est extrêmement rare de trouver réunies en un même lieu autant de personnalités économiques et politiques, non seulement de la région parisienne mais de tout l’Hexagone. C’est une opportunité unique.
Audrey dégageait un charisme et une force de persuasion naturels qui pouvaient intimider même les plus grands chefs d’État. Comme à son habitude, elle était parfaite dans sa tenue immaculée; tailleur en satin accessoirisé de son usuel petit sac « Gucci » blanc. Elle semblait à peine avoir la quarantaine alors qu’elle avait allègrement dépassé la cinquantaine.
— Je sais. Relax ! Il n’y a pas une seule personne sur ce yacht qui n’aie déjà ma carte de visite dans son portefeuille ou flashé dans son smartphone. La plupart des personnes sur ce bateau sont des clients que j’ai déjà aidés dans leurs démarches immobilières. En ce qui concerne les gros poissons que tu m’as recommandé, je me suis assuré de récupérer tous leurs contacts et même d’organiser des rendez-vous avec la moitié d’entre eux. Il n’y en a qu’un seul qui m’ait échappé, du moins pour le moment. Un certain Hector Tavarez, qui je crois, réside dans l’une des cabines VIP, dont il n’est d’ailleurs pas encore sorti.
— C’est justement le plus gros poisson de l’aquarium, ce soir. En outre, l’aquarium lui appartient. C’est lui le puissant financier dont je t’avais parlé. De ce fait, si tu ne l’as pas rencontré, lui, laisse-moi te dire que tu as raté ta mission de la soirée. Il ne te reste plus qu’à accepter ta défaite, ajouta t-elle en lui tapotant l’épaule.
– Je n’accepte jamais la défaite. Je trouverais le moyen d’avoir un tête-à-tête avec lui.
— Je n’en doute pas une seconde, sourit Audrey. Mais ce ne sera pas pour ce soir. Il n’est pas là. Il s’est excusé. Vraisemblablement pour cause d’une urgence d’ordre privé.
– Tôt ou tard, je finirais par l’avoir.
—Tu as toujours su te frayer un chemin et t’imposer même là où on ne t’attendait pas. C’est une qualité que j’aime chez toi ! Tu fais toute ma fierté.
Le téléphone de Mikhail vibra à nouveau. Il interrompit l’appel presque aussitôt comme irrité de subir un harcèlement.
— Quelque chose ne va pas Mikha ? lui demanda telle remarquant combien son front dégoulinait de sueur et lui tendant un mouchoir en papier sorti de son sac pour essuyer son front.
– Non ça va, rien de grave.
— C’est ton épouse, c’est ça ?
— En quelque sorte.
Audrey soutenait son regard sans mot dire, l’invitant ainsi à s’exprimer davantage.
— Je suis sensé la rejoindre à la maison. C’est notre anniversaire de mariage aujourd’hui. Mais…
— Mais tu n’as pas envie de te retrouver avec elle. Tu ne sais plus où tu en es. Tu es fatigué de la relation. C’est bon, je connais la musique. Puis-je te poser une question ?
– Vas-y, soupira-t-il.
– Veux-tu saborder tout ce pour quoi tu as autant travaillé ? Je te le demande, mon petit ! Cela va faire deux ans que tu me bassines sans arrêts de plaintes au sujet de Sandrine. Mais n’es-tu pas en train d’alimenter le moulin par ton comportement. Ne fais pas de Sandrine un handicap. Au contraire ! Sers-toi d’elle comme un atout dans ton plan de carrière. Ne réalises-tu pas que sa position de directrice financière de banque, peut être un réel avantage pour toi ?
Il détestait qu’elle l’appelle « mon petit » avec son usuel air condescendant.
— Arrête Audrey ! Il y a certaines réalités du quotidien dont tu n’as pas idée et…
– …Et on s’en moque royalement, interrompit-elle !
Penses-tu sincèrement qu’après « extinction des feux des projecteurs », tous les couples people que tu vois vivent une lune de miel ? Eh bien, je suis désolée de te dire que c’est bien loin d’être le cas ! La vie conjugale de la majorité des personnes sur ce bateau est en ruine. Mais ces choses se gèrent en off! Tu te dois de soigner les apparences. Comme tu le fais pour les ravalements de façade. Un homme marié et stable, même si c’est un faux-semblant, est un facteur rassurant pour certains potentiels investisseurs.
– Mais toi tu ne t’es jamais mariée et pourtant tu es respectée dans le milieu !
Elle lui prit sa coupe de champagne et en but une gorgée.
– Les codes sont différents pour les femmes, Mikha. Ce statut de femme célibataire, forte, m’est un grand intérêt ! Et crois-moi, ce ne sont pas les occasions pour me mettre la corde au cou par les plus gros bonnets de la place qui ont manqué. Je ne compte plus le nombre de propositions que j’ai déclinées. Mais aujourd’hui je suis respectée pour tout ce que j’ai accompli, sans l’aide d’aucun homme!
Elle saisit le menton de Mikhail dans sa main et le fixa droit dans les yeux…
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