Une Institution Complexe.
Au spectacle que donnent les médias des chamailleries qui déchirent le Congrès ou des blocages qui le paralysent, nombre d’Américains doivent se demander ce qui peut bien pousser les hommes à aller travailler dans cette galère. Cette interrogation ne date pas d’hier. «On peut facilement comprendre les raisons qui mènent un homme à l’hospice pour indigents ou à la prison, notait au XIXe siècle un observateur de l’institution. C’est parce qu’il ne peut pas faire autrement. Mais pourquoi un homme choisit-il délibérément d’aller à Washington, c’est là une question qui me dépasse.» Et pourtant, pour ceux d’entre nous qui ont eu le privilège d’exercer un mandat, le Congrès est une institution fascinante et vitale.
Depuis le tout premier Congrès de 1789, quelque 12000 hommes et femmes ont été mandatés pour travailler au Congrès. Au fil des ans, les rédacteurs de la Constitution et les pionniers de la Frontière ont cédé la place à des astronautes et des professionnels d’Internet. Des rangs du Congrès sont issus vingt-quatre de nos quarante-trois présidents et vingt-huit juges de la Cour suprême. J’ai toujours été frappé par la diversité des origines de mes collègues. Il m’est arrivé de siéger, en commission, aux côtés de personnes qui avaient été médecins, PDG, professeur d’université, bénéficiaires de l’assistance sociale, travailleurs sociaux, sportifs professionnels, physiciens ou héros médaillés de la dernière guerre. S’il est une chose dont se plaignent invariablement les anciens membres de l’institution, c’est l’absence de contacts réguliers avec leurs collègues.
Le Congrès ressemble à bien des égards à une petite ville. Plus de trente mille personnes y travaillent, en incluant les commissaires aux comptes, les conseillers juridiques, les travailleurs sociaux, les documentalistes et la police du Capitole. Ses locaux sur la colline du Capitole, répartis sur quarante «blocs» d’immeubles, occupent une superficie de plus de 100 hectares et sont reliés par un labyrinthe de couloirs et de passages souterrains. Le Capitole lui-même couvre 2 hectares. Cet espace englobe aussi bien la grandiose esplanade où a lieu tous les quatre ans la cérémonie d’investiture du président que des lieux moins visibles, tels les locaux pratiquement inaccessibles de la commission du renseignement, sécurisés contre les systèmes électroniques d’espionnage les plus sophistiqués.
Pendant plus de deux siècles, le Congrès a débattu de la composition du gouvernement, des protections tarifaires, de la «destinée manifeste» de la nation américaine, de l’esclavage et des droits des États, des déclarations de guerre, des droits civiques et du droit de vote, de la mise en accusation d’élus (impeachment) et de la mondialisation. La tâche principale du Congrès est de voter les lois de la nation. Au cours de chaque législature de deux ans, quelque cinq mille projets ou propositions de loi sont présentés à la Chambre et un nombre comparable de textes souvent identiques à ceux présentés à la Chambre le sont au Sénat. Au terme des deux ans, ce seront quelque cinq cents nouvelles lois qui auront été adoptées, dont beaucoup incluront de multiples dispositions reprenant des idées qui figuraient à l’origine dans des propositions individuelles.
Le Congrès compte deux cents commissions et sous-commissions qui examinent et préparent la législation; les membres votent plusieurs centaines de fois par an sur les sujets les plus divers, des simples questions de procédure routinière à la déclaration de guerre, en passant par des projets coûtant plusieurs centaines de milliards de dollars. La diversité des questions que le Congrès l’institution a aujourd’hui à régler est stupéfiante, et l’examen d’un projet de loi exige la parfaite maîtrise d’un processus législatif complexe assorti de sa propre terminologie mark-up (finalisation), hold (mise en attente), amendment tree (amendements en série), filibuster (obstruction parlementaire), clôture (limitation du temps de parole), germaneness (pertinence), soft-earmark (affectation de crédits), suspension (retrait temporaire), reconciliation (conciliation).
Quand j’ai été élu pour la première fois à la Chambre, il m’a été clairement signifié de me tenir tranquille pendant quelques années, en attendant d’avoir parfaitement assimilé les règles et les traditions du Congrès. Les jeunes parlementaires acquièrent aujourd’hui plus rapidement leur liberté d’action, mais il existe encore un temps d’apprentissage assez rude…
Ce texte est un extrait du livre « Comment Fonctionne Le Congrès Américain » écrit par Lee H. Hamilton.
Nous vous invitons à lire l’article suivant « Une Vision équitable du Congrès« .
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